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« L’Histoire de Souleymane » : deux jours de pur suspense au côté d’un migrant

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
Voilà dix ans que Boris Lojkine tourne des fictions, fortement teintées de réel, autour du continent africain. Il y filme ceux qui le fuient (un couple d’émigrants en route vers l’Europe dans Hope, en 2014), ceux qui le rejoignent au péril de leur vie (la photographe Camille Lepage dans Camille, 2019), et aujourd’hui, avec L’Histoire de Souleymane, l’un de ceux qui ont réussi le voyage, mais à quel prix ?
C’est à Paris que cela se passe, et le héros de ce drame haletant se nomme Souleymane. Originaire de Guinée, vingt et quelques printemps, clandestin en attente de régularisation : le personnage doit beaucoup à l’histoire de son (excellent) interprète, Abou Sangare. Trois impératifs le requièrent, qui nourrissent exclusivement la trame du film : gagner de quoi manger, s’assurer un toit pour dormir, préparer son entretien de demande d’asile.
Par-devers soi, on pensera peut-être « archi-vu, anti-romanesque ». C’est tout le contraire. Du relativement peu vu et du romanesque à fond les manettes. On en connaît la raison, qui tient dans le titre d’un film canonique : Rosetta (1999), des frères Dardenne. Avec Emilie Dequenne, de tous les plans, en héroïne luttant pied à pied contre la précarité, intensifiée et magnifiée par la caméra portée. Copié depuis lors jusqu’à satiété, le film n’aura eu que peu d’émules dignes de ce nom. Louise Wimmer (Cyril Mennegun, 2012) en fut un. Souleymane en un autre. Tiens, trois titres, trois noms. Soit des films qui annoncent la couleur, plaçant au centre l’individu – soit étymologiquement ce qui est indivisible, autrement dit unique.
A l’assurance de cette intégrité s’ajoute l’une des grandes vertus de ce cinéma d’inspiration dardénienne : l’absence délibérée de discours et de morale. Un pur comportementalisme y embarque le spectateur au côté du héros. Ses problèmes les plus triviaux y deviennent ipso facto ceux du spectateur, a fortiori quand celui-ci comprend à quel point ils se révèlent vitaux pour le personnage.
S’agissant de Souleymane, toute l’habileté du scénario, qui n’invente rien cependant, consiste à nous montrer à quel point la vie de ce personnage repose sur un très fragile équilibre. Emprunter, en s’endettant sévèrement, l’identité d’un aigrefin pour pouvoir être livreur. Pédaler jour et nuit selon un timing d’enfer. Courir pour ne pas rater le bus qui le conduit au centre d’hébergement d’urgence. Répéter mentalement pendant tout ce temps le récit supposément crédible qu’un autre aigrefin enseigne à ses compatriotes en vue de leur entretien pour la demande d’asile.
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