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A quoi bon se lancer dans le commerce de chapeaux quand (presque) plus personne n’en porte ? « Je n’avais pas de raison rationnelle à le faire, concède le modiste anglais Stephen Jones. Et quand je me suis rendu compte que c’était vraiment devenu mon métier, je me suis dit : mon Dieu, qu’ai-je fait ? » Si, dans les années 1980, son choix lui paraissait farfelu, on peut dire que le temps lui a donné raison : à 67 ans, Stephen Jones a droit à sa propre exposition au Palais Galliera (« Stephen Jones, chapeaux d’artiste », du 19 octobre au 16 mars 2025), le musée de la mode parisien qui, ces dernières années, a accordé un tel privilège à des monuments de la mode tels que Gabrielle Chanel ou Azzedine Alaïa.
Stephen Jones s’est choisi un terrain d’expression singulier, mais dans lequel il est devenu incontournable. Il est à la tête de sa propre marque, indépendante depuis son lancement à Londres en 1980. Et dessine aussi des chapeaux pour Dior, où ses créations insufflent un zeste de théâtralité dans des collections parfois lisses ; ou collabore avec Schiaparelli, où il permet à l’exubérance du designer Daniel Roseberry de se déployer jusqu’au visage. Il sait se plier aux exigences protocolaires de la famille royale britannique comme satisfaire Beyoncé quand elle recherche un couvre-chef de cow-boy insensé, en argent métallisé. « Mon job, c’est d’essayer de comprendre les gens, résume-t-il. Les écouter parler. » Ecouter parler Stephen Jones, c’est aussi comprendre l’évolution de la mode ces quarante dernières années.
Natif du comté rural de Cheshire (Royaume-Uni), il grandit dans un milieu « bourgeois », et sait déjà à 6 ans qu’il ne veut pas marcher dans les pas de son père ingénieur. « Je suis né avec des doigts en moins [il manque plusieurs phalanges à la main droite de ce gaucher], j’étais homosexuel. Je me sentais différent, et mes différences n’étaient pas encouragées par mes parents. Je savais qu’il me fallait trouver ma propre voie », analyse-t-il. Féru de dessin et de mode, il étudie à la Saint Martin’s School of Art de Londres (aujourd’hui Central Saint Martins), où il a du mal à trouver sa place, jusqu’à ce qu’il atterrisse dans l’atelier de chapeaux. L’ambiance plus légère que dans les ateliers de couture et l’idée de travailler sur un objet solide le séduisent. Que les couvre-chefs soient déjà des objets désuets ne l’affecte pas. « J’ai toujours aimé nager à contre-courant », affirme-t-il.
Stephen Jones lance son commerce de modiste sans stratégie financière, avec la seule conviction d’avoir trouvé son terrain d’expression. Au début des années 1980, il est au cœur d’un groupe d’artistes qui participent au renouveau culturel de Londres, et imagine des chapeaux pour les musiciens Boy George, Duran Duran, Spandau Ballet ou le plasticien Grayson Perry. Après l’art, c’est au tour de la mode de repérer son talent : Vivienne Westwood, Rei Kawakubo, Jean Paul Gaultier, Thierry Mugler, John Galliano font appel à lui. Et Lady Di aussi.
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